Collectif. La fermeture des musées, des expositions et des monuments depuis le 17 mars a mis en lumière combien ces lieux sont essentiels à nos cités et à la construction du lien social. Lieux de création, d’acquisition de connaissances et de rencontres, ils sont des leviers de réflexion et de transformation de nos sociétés. Ils œuvrent de manière moins visible que le cinéma, le spectacle ou le livre.
Qui connaît le générique des expositions « De l’amour », au Palais de la découverte, ou « Christian Dior, couturier du rêve », au Musée des arts décoratifs, celui de la rénovation du Musée des beaux-arts de Dijon ou de la création de la Cité du vin, de Bordeaux, pourtant tous des blockbusters ? La qualité de nos savoir-faire spécifiques artistiques et techniques est reconnue dans le monde entier. Mais nous n’avons ni star-system, ni festival.
Des métiers de l’ombre
Derrière ces expositions temporaires et permanentes, il y a un écosystème d’entreprises créatives qui collaborent avec les grandes institutions culturelles françaises et internationales, tout autant qu’avec les « petits musées »…
En amont, muséographes, scénographes, graphistes, concepteurs multimédias ou encore lumière, nous donnons « corps » à une idée, nous interprétons la pensée d’un commanditaire, public comme privé. Notre mission est d’utilité publique : déployer des œuvres dans l’espace pour en faire ressentir l’essence aux visiteurs, l’émouvoir, transmettre un propos historique, scientifique ou artistique.
De la même manière qu’au cinéma, un réalisateur travaille avec une équipe pour mettre en scène un scénario, nous créons, avec le maître d’ouvrage, les principes artistiques de « monstration ». Comme un film, l’exposition est une œuvre de collaboration. Puis, en maîtres d’œuvre, nous supervisons une chaîne de métiers qui la matérialisent : agenceurs, spécialistes des vitrines, du matériel audiovisuel, d’éclairage ainsi que des socleurs, manipeurs, imprimeurs, décorateurs, transporteurs…
Réunis depuis 2019 au sein de la Fédération des concepteurs d’expositions XPO, nous sommes des métiers de l’ombre. Lors de la rencontre du président de la République avec les professionnels de la culture le 6 mai, il n’y avait aucun participant représentant le secteur des musées et des expositions. Or aujourd’hui, nous sommes dans une immense fragilité. La plupart d’entre nous sommes des chefs de très petites entreprises (TPE), sans système d’intermittence.
Des Etats généraux de l’exposition
Nous sommes dépendants de marchés publics aux marges de plus en plus faibles, alors que la mise en œuvre des projets se complexifie (accroissement des dispositifs de médiation numérique, prise en compte de l’écoconstruction, prise en compte des risques et sécurité des œuvres et du public, réduction des délais…). Le 15 novembre 2019, lors de la journée professionnelle sur « Les métiers de l’exposition » organisée avec le ministère de la culture, nous tirions déjà la sonnette d’alarme sur l’évolution et l’instabilité croissante de nos métiers.
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La crise sanitaire pourrait être fatale à nombreuses structures. Comme tous nos confrères de l’industrie culturelle, nous n’avons plus de visibilité : ouvertures retardées, saisons ou programmes annulés ou reportés, marchés publics ajournés, budgets supprimés… Alors que faire ? Attendre l’écroulement ?
Cette mise à l’arrêt nous oblige au contraire à nous projeter dans le futur. Nous avons hérité de lieux d’exposition, conçus aux XIXe et XXe siècles : il est temps de les mettre à l’heure du participatif, interactif, durable… Alors qu’ailleurs, on collabore de manière agile, en co-création, nous travaillons toujours avec les commanditaires de manière pyramidale, en silo, via une bureaucratie qui prend le pas sur les projets eux-mêmes. Nous sommes une filière d’excellence : dynamisons-la, réinventons le musée pour tous et pour demain !
Nous appelons les acteurs publics à organiser des Etats généraux de l’exposition afin de penser ensemble un « New Deal ».
Deux sujets nous semblent pivots pour ce renouveau.
Un accélérateur de notre mutation
Le premier est la relation de notre filière avec la puissance publique. La filière « Expositions » est à la confluence de quatre ministères : la culture, les affaires étrangères (en charge du tourisme), les finances (garant du mode d’emploi de la commande publique) et la cohésion territoriale.
Résultat : nous sommes sans interlocuteur pour évoquer nos problématiques dans leur ensemble. Un exemple : les commanditaires mettent en compétition notre créativité à travers des marchés publics comme s’il s’agissait d’achat de ramettes de papier. Dans cette quête au moins-disant plutôt qu’au mieux-disant, notre filière se paupérise face à des concurrents étrangers mieux armés. Les juristes de Bercy n’entendent pas les spécificités de nos métiers de création. Et le ministère de la culture n’est pas spécialiste du code des marchés publics. En conséquence, ils se renvoient la balle sans prendre de décision.
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Ainsi, nous demandons donc la création d’un Centre national de l’exposition sur le modèle du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), du Centre national du livre (CNL) ou du Cntre national de la musique (CNM). Une agence publique autonome, à la croisée des ministères concernés.
Sa mission ? Soutenir l’ensemble de la chaîne de l’exposition (privé et public) à tous les niveaux : veille (inexistante aujourd’hui à échelle nationale et internationale), dialogue intermétiers, public/privé, formation (universitaire et professionnelle), directives sur des bonnes pratiques, mutualisation des ressources, gestion des relations internationales du secteur… Le Centre national de l’exposition pourrait devenir la référence, la « French Expo », un pont entre les acteurs et, de fait, agir comme un accélérateur de notre mutation.
Des publics de plus en plus larges
Deuxième exigence face à la crise : interroger le rôle des musées et de l’exposition dans le monde de demain. Vaste question que nous posions déjà tous, à laquelle la crise sanitaire a apporté un éclairage blafard. Nous avons assisté ces dernières décennies à une croissance exponentielle des expositions en taille et en quantité. Toujours plus spectaculaires, plus nombreuses… et de plus en plus courtes : XXL était le mot d’ordre (tandis que les budgets de conception et de réalisation étaient, eux, fortement diminués par cette inflation). Cette course visait l’objectif de séduire un vaste public, français et étranger dont on tirerait des profits touristiques au passage. Il semble qu’elle ne soit plus d’actualité.
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Pour autant, la culture doit rester un pivot de l’avenir de la France. L’exposition est un médium intellectuel et artistique, tout comme une représentation scénique. Elle véhicule un message, selon le cas, politique, humaniste, citoyen, scientifique. Elle touche des publics de plus en plus larges, de toutes générations : 39 % des Français sont allés au musée durant les douze derniers mois et 54 % ont visité un monument historique (alors que 33 % « seulement » se sont rendus dans une bibliothèque publique).
Saisissons-nous du goût des Français pour la culture pour en faire un levier de performance. L’exposition de demain doit être un lieu d’acculturation ouvert à tous, en dialogue entre les générations, bravant les inégalités sociales, de langage et de connaissances. Elle doit rester un lieu de convivialité et de partage, qui procure émotions, questionnements et divertissement.
Nous ne savons pas quand les touristes étrangers reviendront en France. Engageons-nous vers nos concitoyens. Les normes de distanciation sociale rendent impraticables les grandes expos et questionnent les petits musées mal dotés ? Concevons des expositions plus ajustées, plus durables notamment via l’écoconception et l’itinérance, en réfléchissant à leur pendant numérique ou encore en incluant les publics dans la conception de l’exposition. Autant de « révolutions » que des Etats généraux peuvent impulser et dont Centre national de l’exposition serait le chef d’orchestre. Franck Riester, ministre de la culture a proposé de « refonder le modèle français avec l’art et la culture ». Nous sommes prêts à y contribuer.
XPO, Fédération des concepteurs d’expositions, affiliée de la Fédération CINOV (Fédération des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle du conseil, de l’ingénierie et du numérique), et regroupant : l’Association Les Muséographes, l’Association professionnelle des muséographes, l’Association des scénographes, l’Union des scénographes (UDS), l’Association des concepteurs lumières et éclairagistes (ACE), l’Association des producteurs d’expériences numériques (PXN).
Signataires :
Ali Akbari, muséographe ; François Aulas, muséographe, Abaque ; Laurence Bagot, productrice, narrative ; Estelle Basalo, scénographe ; Alain Batifoulier, scénographe Tovar ; Luc Bonnin, directeur, Scarabée ; Carole Benaiteau, muséographe ; Thierry Bertomeu, designer sonore, Nova Pista ; Anne Bourdais, muséographe ; Gilles Boustani, auteur-réalisateur producteur, AnimaViva Productions ; Michel Brand’Honneur, muséographe ; Martial Brard, auteur-réalisateur, Cent Millions de Pixels ; Jean-Jacques Bravo, scénographe ; Loeïza Cabaret, conceptrice lumière, Ombrages ; Richard Caratti-Zarytkiewicz, concepteur lumière, éducateur ; Sylvie Carlier, productrice, AnimaViva Productions ; Sara Castagné, conceptrice lumière, Concepto ; Pierre Cattan, producteur, Small Bang ; Renaud Chabrier, auteur et réalisateur, Nova Pista ; Frédéric Chauvaux, scénographe, Point de Fuite ; Nawel Creach-Dehouche, conceptrice lumière, Cosil Peutz Lighting Design ; Cécile Cros, productrice, narrative ; Stéphanie Daniel, conceptrice lumière ; Guillaume Darcourt, producteur-réalisateur, Fleur de papier ; Romain Déflache, producteur-réalisateur, Fleur de papier ; Cécile Degos, scénographe ; Emilie Delanne, scénographe, Græphème ; Olivier Demangeat, muséographe ; Simon Deschamps, scénographe lumière ; Charlotte Didier, productrice, Cent Millions de Pixels ; Camille Dugas, scénographe ; Laurent Duret, producteur, Bachibouzouk ; Lydia Elhadad, muséographe ; Jean-Jacques Ezrati, éclairagiste conseil ; Clémence Farrell, scénographe, Agence Clémence Farrell ; Jérôme Fihey, auteur et producteur, Le Crabe Fantôme ; Astrid Fontaine, muséographe ; Franck Fortecoëf, scénographe ; Loretta Gaitis, scénographe ; Dany Gandon, scénographe, scenorama ; Laura Gaudenzi, muséographe ; Noëlle Giraud-Sauveur, productrice associée, Dikdak ; Laurence Giuliani, productrice, Akken ; Pascal Goblot, auteur-réalisateur & producteur, Escalenta ; Maud Gouy, muséographe ; François Gschwind, concepteur lumière ACE, atelier du crépuscule ; Jean-Paul Haure, artiste-auteur scénographe ; Caroline Impergre, muséographe, agence Azimuse ; Akari-Lisa Ishii, concepteur lumière, I.C.O.N. ; Henri Joaquim, scénographe, La Fabrique Créative ; Mélinée Kambilo, scénographe, Abaque ; Marianne Klapish, scénographe, Klapisch Claisse ; François Klein, producteur, Digital Rise ; Michel Kouklia, scénographe, Ubiscene ; Laurent Laidet, muséographe ; Olivier Lambert, auteur-réalisateur-producteur, Lumento ; Emmanuel Landas, muséographe, Cultures et Territoires ; Amélie Lebleu, designer, studio Lebleu ; Claire Lebouteiller, productrice, Drôle de Trame ; Gilbert Leguay, conseil en assurances et responsabilité, Passages ; Yvonnick Le Fustec, directeur des productions, Muséomaniac ; Virginie Lemaistre, muséographe ; Agnès Levillain, muséographe, Sens de visite ; Xavier Limagne, muséographe ; Régis Lindeperg, graphiste d’exposition, La fabrique créative ; Aurélie Linxe, muséographe ; Jean-Jacques Lonni, producteur associé, Dikdak ; Suzie Maccario, muséographe, Agence Ame en Science ; Philippe Maffre, scénographe ; Marc Mamane, producteur, Sim & Sam ; Nicolas Mangeot, muséographe, Exploradôme ; Cécile Massot, muséographe, Abaque ; Miene Mathon, scénographe, développeure Erasmus + ; Marie-Laure Mehl, scénographe, Mehl’usine Conseils ; Pauline Mercier, scénographe ; Virginie Nicolas, conceptrice lumière, Concepto ; Pascal Payeur, scénographe, expositif ; Floriane Perot, muséographe ; Elise Petitpez, muséographe ; Omer Pesquer, consultant ‘culture + numérique’; Virginie Pivard, muséographe, La boîte à outils ; Flora Ploquin, muséographe, Muséum national d’Histoire naturelle ; Marion Ploquin, muséographe ; Jérôme Politi, muséographe ; Jean-Christophe Ponce, scénographe, scénorama ; Laurence Pustetto, scénographe, Atelier Pustetto ; Nathalie Puzenat, muséographe ; Luc Reder, producteur, Chuck Productions ; Adeline Rispal, scénographie, Studio Adeline Rispal ; Marine Rocher, muséographe, Multiples ; Antoine Roland, ingénierie culturelle, Correspondances Digitales ; Myriam Rose, scénographe ; Henri Rouvière, scénographe, Arscenes ; Emmanuel Rouillier, designer interactif, Mosquito ; Nadine Salabert, muséographe ; Raymond Sarti, scénographe ; Aurore Soares, muséographe, Narrations plurielles ; Marina Simon-Gallé, muséographe ; Thibault Sinay, scénographe ; Adrien Stalter, muséographe ; Anne Stephan, muséographe ; Audrey Tenaillon, scenographe, masKarade ; Isabelle Thomas, productrice, Escalenta ; Martine Thomas-Bourgneuf, muséographe ; Timothé Toury, concepteur lumière ; Pierre Verger, scénographe ; Victor Vieillard, concepteur lumière, Studio by Night ; Agnès Vincent, muséographe conceptrice multimédia.