Le Réemploi des Décors de l’Opéra de paris à l’époque Romantique (1800-1830)

Si, jusqu’en 1831, les réemplois des décors sont très fréquents mais irréguliers, il obéissent néanmoins à une logique reglementé. Sous l’Empire, c’est la coutume, comme en témoigne la réglementation par le Conseil d’administration en février 1806

“ le machiniste sera admis à la séance du conseil et interpellé de déclarer sur sa responsabilité si les décorations existantes en magasin peuvent ou ne peuvent point être employées ou ne peuvent servir qu’en tel nombre pour la pièce nouvelle sur remise.“ (Lecomte, Napoleon et le monde dramatique)

En ce sens, la pratique du réemploi se révèle pragmatique et même vertueuse. (Illustration maquette

[Jeanne d’Arc : maquette construite de l’acte IV, tableau 3 / par Charles Cambon, Antoine Lavastre et Eugène Carpezat]Cambon, Charles-Antoine (1802-1875). Dessinateur

Sous la restauration, on commence à faire neuf et le régisseur de l’opéra s’en plaint d’ailleurs au moment de la mise en scène d’Alfred-le-Grand en 1822. “ l’usage était de faire toutes les décorations à neuf . Les dépenses deviennent excessives et les ateliers regorgent de châssis, rideaux, etc..“ (Archives Nat AJ XIII 133 , Alfred Legrand note du régisseur)

Dans leurs lettres aux directeurs de l’opéra, le préfet du palais ou le ministre de la maison du roi lance des appels pressants à l’économie. De leur côté, les directeurs savent que la réutilisation de vieux décors peut être un moyen d’obtenir facilement l’autorisation de la mise d’un ouvrage par le pouvoir.

Le réemploi est une habitude remise en cause, progressivement, par un public avide de nouveautés. Pourtant, la réalité économique reste une force contraignante. En 1828, lors de la production de La Muette de Portici, les archives révèlent que le comité de mise en scène n’autorise la fabrication de décors neufs que pour deux éléments spécifiques. Tous les autres composants sont tirés des stocks existants, preuve que l’obsession pour la nouveauté doit souvent composer avec le pragmatisme financier et les sujets des livrets.

Empruntés à la mythologie et à l’antiquité, les sujets des opéras facilitent les réemplois. Rien ne ressemble plus à un temple antique qu’un autre temple, comme l’illustre l’anecdote suivante :

Un jour, Napoléon voulut qu’on lui donna, sur le champ, une représentation d’Achille. « Servez-vous de remparts de Jericho, » dit-il. « Les murs sont encore neufs, bien qu’on les fît tomber dix fois à coups de trombone. » Le palais égyptien de Cléopâtre peut jouer son rôle aussi. » (Castil-Blaze l’opéra italien de 1548à 1856)

Grâce au nombreux devis réalisé sous l’Empire, par Degotti et Isabey, on peut mesurer l’importance du réemploi.

Les réemplois permettent de substantielles économies. Sans doute, à la demande de l’administration, le décorateur prend-il l’habitude de présenter deux devis, l’un où tout est à faire neuf, l’autre avec réemploi. Les toiles réutilisées ont souvent trente ans, il est alors nécessaire de les rafraîchir et de les entretenir, ceci explique donc bien l’importance de la fonction de conservateur des décorations qui revient au peintre en chef.

Après 1831, la fabrication des décors est modifiée et le réemploi disparaît. Le Supplément au cahier des Charges, signé par Louis-Désiré Véron (1798 – 1867) le 14 mai 1833, apporte quelques précisions : 

« Quant aux décorations des ouvrages nouveaux, lorsque l’entrepreneur se servira pour leur construction de vieux matériels mis à sa disposition, les peintures devront en être nouvelles, surtout pour les grands ouvrages. Si par exception quelques fermes, rideaux ou châssis pouvaient concourir à l’effet général des décorations nouvelles, sans être repeints ou rafraîchis, l’entrepreneur pourrait les employer sous leurs anciennes formes, mais il devrait y être autorisé par la commission de surveillance. »

De son côté, Théophile Gauthier signale à propos de la mise des Moïcans en 1838 :  “un site pittoresque de l’Amérique du Nord qui nous fut donné il y a quelques temps pour une forêt vierge de l’Amérique du Sud dans le ballet de Brezilia.“

T Gautier histoire de l’art dramatique depuis ving cinq ans. Les décors de Brézilia (1835) sont de Philastre et Cambon

L’utilisation des décors pendant une longue période est d’abord fonction du succès de l’ouvrage. En cas d’échec, le décor est malgré tout conservé dans l’espoir de le voir réemployé. Mais après 1820, les décors sont détruits après autorisation du ministère pour récupérer les toiles. Cette pratique est liée au renouvellement du répertoire et au désir de nouveauté. Les archives nationales conservent plusieurs états de décors à diverses époques. En 1822, on décide la destruction des décors de 33 opéras et 19 ballets après en avoir extrait les toiles réutilisables. A la même date, nombreux sont les ouvrages dont les décors ont disparu. Parmi ceux-ci, certains sont relativement anciens, comme Alcibiade, 1814, Roger de Sicile, 1817. D’autres sont récents, comme Blanche de Provence, 1821.

Détail de construction dressé par M. du Boullay architecte, conjointement avec M. Poullet machiniste pour être approuvé par MM. les propriétaires du Théâtre et M. Walter, directeur et être joint aux devis arrêté sous la date du 20 mars 1833. Source gallica.bnf.fr / BnF

Les changements de décors. A partir de 1820, le système des décors s’alourdit et nécessite de nombreux entractes. Certains s’en plaignent. Les toiles peintes des Italiens se succédant l’une à l’autre avec rapidité donnent bien plus de satisfaction aux spectateurs que toutes les montagnes en abrégé dont il faut attendre la construction pendant trois quarts d’heure.

C’est en 1828, à l’occasion de la mise en scène de La muette de Portici, que l’opéra introduit pour la première fois l’entracte entre le quatrième et le cinquième actes pour installer le Vésuve en éruption. En 1829, pour Guillaume Tell, on baisse le rideau plusieurs fois.

Guillaume Tell Acte II (…)Cambon Charles-Antoine

Dans le même temps, un des procédés de mise en scène, le changement à vue, se trouve momentanément abandonné. Autrefois, le changement était assez facile, les décors étaient tous plantés sauf de rares exceptions, d’une façon identique et régulière. Il se composait le plus souvent de châssis de chaque côté du plafond, de fermes et d’un rideau. On équipait les châssis qui devaient disparaître et ceux qui devaient devenir sur le même tambour en sens contraire les uns des autres. Un simple mouvement de rotation, contrebalancé par les contrepoids, faisait partir les uns et venir les autres.

Jusqu’en 1831, 56 ouvrages, c’est-à-dire les plus importants, sont agrémentés de changements à vue.

La révolution de 1830 modifie le mode de paiement des décorateurs. Devenus indépendants, ils ne sont plus rémunérés qu’en fonction du travail effectué. Les restaurations, comme la peinture des toiles, continuent d’être évaluées en châssis, mais cette évaluation varie et s’étend de 80 à 250 francs.

L’atelier des décors de l’Opéra de Paris aux Menus-Plaisirs (rue Richer), vers 1840. Image © BnF/BMO

Dans la seconde partie de la restauration, la scénographie connaît une transformation profonde. Les conditions matérielles changent, les réemplois vont diminuant, une plus grande liberté est alors laissée aux décorateurs. Parmi les nouveautés se dégagent trois grands courants avec le développement des décors diorama, troubadour de style médiéval, et du décor paysage.

Source : Les Décors de scène de l’Opéra de Paris à l’époque romantique, par Catherine Join-Diéterlé, édition Picard 1988

« Avant Ciceri, les décorations de l’Opéra et des autres théâtres se traînaient encore dans la vieille ornière classique, où l’Olympe, avec son bagage d’amours, de carquois. C’est vraiment Ciceri qui, le premier, sut comprendre que le temps des vieux décors antiques et classiques était passé, et qui, en même temps, posa en principe que, dans une décoration, les détails spirituels et soigneusement exécutés devaient être sacrifiés à la masse et à l’effet.

On voulait, maintenant. que les personnages de chaque pièce fussent
montrés avec leurs véritables costumes et dans le milieu réel où ils avaient vécu. Peut-être, dans les premiers moments surtout, nous laissâmes-nous entraîner par un zèle quelque peu excessif dans ce mouvement de réaction contre les décors inamovibles de l’antique convention
théâtrale. Le moyen âge devint pour nous la véritable école artistique »

extrait de souvenir d’un homme de théâtre par Charles Séchan 1883

Discours de M. Halanzier directeur de l’opéra aux obsèques de Cambon.

« Tous les arts sont frères, répète-t-on souvent. Cela est vrai. Mais dans la famille artistique, de même que dans d’autres familles, il y a hélas des déshérités. L’art de la peinture décorative théâtrale n’a pas toujours été classé au rang qui lui appartient. Le public tout entier à l’action scénique n’accorda longtemps qu’une attention relative au décor de théâtre. Pour lui, c’était le cadre du tableau. C’est ainsi que les Cicéri, les Feuchères, les Philastres, les Thierry, les Déplechins, pour ne citer que quelques noms, ont produit des chefs-d’œuvre dont la valeur appréciée seulement d’un petit nombre de connaisseurs n’a pas donné à leurs auteurs de renom disons le mot : la gloire qui leur était due si légitimement…. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.