Que peut bien signifier le projet mieux produire mieux diffuser dans un contexte d’austérité généralisée ? Comment un État aux finances exsangues et des collectivités écrasées par leurs charges pourraient-ils devenir les garants d’une renaissance culturelle ?
Le ministère de la Culture, en annonçant en 2024 son plan managérial « Mieux produire, mieux diffuser », a semblé vouloir s’inscrire dans une démarche de sauvetage. Avec 9 millions d’euros inscrits au budget, ce dispositif reposait sur une mécanique simple : pour chaque euro investi par une collectivité, l’État s’engagerait à apporter 1€ . L’idée, presque ingénue, est celle d’une synergie, d’un pacte entre partenaires qui se complètent.
Mais à l’heure du bilan, il nous faut interroger ce fragile projet. Dans un contexte de restrictions budgétaires drastiques où l’État, pas plus que les collectivités, ne peuvent se targuer de marges de manœuvre confortables, ce plan risquait dès le départ de reposer sur une équation difficile voir insoluble. Comment, en effet, bâtir une politique culturelle ambitieuse si les partenaires eux-mêmes vacillent sous le poids de l’austérité ?
Les métiers de l’ombre du spectacle sont laissés pour compte. Délaissés par un ministère qui aurait dû être leur protecteur. Par ailleurs sous l’apparente ambition de moderniser les pratiques, le ministère foisonne de directives et multiplie les injonctions écologique, avec le CACTE (Cadre Artistique pour la Création et la Transition Écologique) ou encore BOUTURE (Boussole écologique et Transition Urbaine pour la Résilience des Espaces). Ces directives ajoutent de la confusion et ne font que masquer un paradoxe cruel : un contexte économique devenu si rigoureux qu’il étrangle toute marge d’innovation, de transition et de renouvellement des compétences. Ainsi bridées, les énergies créatrices se retrouvent réduites à bricoler un avenir qu’elles n’ont plus le droit de rêver.
Le spectacle vivant est aujourd’hui réduit à une sorte de misère déguisée en vertu. On glorifie ces scénographies de fortune, ces palettes recyclées et ces costumes d’occasion, en y voyant des symboles d’ingéniosité ou de résilience. Mais cette mise en scène cache mal une réalité bien plus sombre : celle d’un secteur sans moyens nécessaires pour exister. Ce qui pourrait être un choix esthétique devient une nécessité contraignante.
Aujourd’hui, le ministère semble vouloir réinventer les modes de production et de diffusion, mais il le fait sans écouter ceux qu’il prétend servir. La question n’est pas seulement celle des moyens. Elle est aussi, et peut-être avant tout celle d’un cadre stratégique clair, capable de redonner souffle et sens à l’ensemble des acteurs de la chaîne culturelle, des artistes et des technicien.e.s.
L’effet domino : une mécanique implacable, d’une culture en voie d’extinction
Un premier domino tombe, une subvention annulée, un projet ajourné, et c’est tout un écosystème qui vacille. Derrière chaque euro manquant, ce n’est pas seulement une ligne budgétaire qui disparaît, mais des scènes qui ferment, des festivals qui s’éteignent, des artistes qui s’éloignent du champ culturel pour survivre ailleurs. Ce ne sont pas des chiffres que l’on rogne, mais des existences.
L’érosion des financements culturels ne touche pas seulement les artistes ou les techniciens, mais bien plus que cela : l’éducation des jeunes, la cohésion sociale, et la vitalité économique des territoires. Ce que l’on prive à la culture, c’est tout un pays qui le perd. Car la culture, loin d’être un poste budgétaire ordinaire, est ce qui donne un sens à tout le reste. Car chaque projet culturel est un levier : il génère de l’emploi, attire des publics, nourrit le tissu social et cimente notre société. Un plan qui s’appellerait à défaut ni produire et ni diffuser, c’est accepter un appauvrissement dont les conséquences ne se mesurent pas qu’en un tableau excel budgétaire.
Dans une société saturée d’images, de sons et de récits, nous assistons à la marginalisation de ceux qui fabriquent ces récits essentiels. L’abondance apparente masque la rareté croissante de la véritable création, celle qui ne cède pas aux logiques marchandes ou aux impératifs du divertissement et de l’instagrammable.
Demain commence aujourd’hui, et avec lui, l’urgence de préserver ce qui nous arrache à la grisaille du quotidien : la possibilité de rêver ensemble d’autres mondes. Ce que nous défendons ici n’est pas seulement la survie d’un secteur, mais la promesse d’une société vivante !