Dans l’ affaire emblématique dite Bernard Buffet, dans laquelle l’artiste Bernard Buffet peint une nature morte sur un réfrigérateur qui est vendu aux enchères. L’acquéreur de l’œuvre décide de découper les panneaux de l’appareil pour les revendre séparément. L’artiste fait opposition à la vente et sollicite des dommages et intérêts pour atteinte à son droit moral.
La Cour de cassation donne gain de cause à l’artiste aux motifs que : « le droit moral qui appartient à l’auteur d’une œuvre artistique donne à celui-ci la faculté de veiller, après sa divulgation au public, à ce que son œuvre ne soit pas dénaturée ou mutilée lorsque, comme en l’espèce, la Cour relève souverainement que l’œuvre d’art litigieuse, acquise en tant que telle, constituait une unité dans les sujets choisis et dans la matière et que par le découpage des panneaux du réfrigérateur, l’acquéreur l’avait mutilé » . (Cass. 1e civ. 6 juillet 1965)
Paris, 1958 Bernard Buffet est adulé par la presse qui le considère comme un génie à 30 ans. Il est déjà riche alors qu’une décennie auparavant, il étudiait encore à l’école des Beaux-Arts.
Il vient de faire l’objet d’une rétrospective à la galerie Charpentier à Paris, le travail acharné de buffet lui a permis de connaître le succès et ses peintures sont vendus sur le champ, avant même chaque exposition.
Une institution de bienfaisance le sollicite pour une vente caritative dont l’idée est de s’emparer d’une armoire frigorifique de la marque frigidaire, buffet se prête au jeu et en décor un de sa peinture. Triste aiguë, vertical et allongé. Son œuvre est présentée avec celle de neuf autres artistes lors de l’exposition intitulée, « noblesse de l’objet quotidien » à la galerie Charpentier, avant de passer sous le marteau du célèbre commissaire-priseur Maurice Rheims. Un succès, le réfrigérateur embelli par buffet est acquis par un certain monsieur Fersing pour 1 175 000 d’anciens francs (environ 24 000 € ) à peine propriétaire ce dernier entreprend de découper les panneaux de l’appareil pour les revendre. C’est ainsi qu’un bout de porte au titre poétique, de nature morte, aux fruits est proposée à la vente sous le marteau du même, Maurice Rheims.
Refroidi par cette mutilation buffet fait opposition à la vente et saisit la justice. Il est vrai que la toute récente, loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, prévoit son article 6 que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. (Aujourd’hui l’article L. 121–1 du code de la propriété intellectuelle.)
Ce texte permet donc à tout artiste de s’élever contre une dénaturation ou une modification matérielle, transformation physique, de l’œuvre ou intellectuelle, projection intellectuelle dans un univers sans que l’œuvre soit touchée, mais l’acquéreur d’une œuvre détient un droit de propriété lui permettant de disposer de son bien de manière absolue. Face à cette contradiction pour laquelle le législateur n’a prévu aucune solution la question soulevée est simple le propriétaire du œuvre d’art. Peut-il la découper en morceaux?

La dénaturation d’une œuvre est une atteinte au droit moral d’un artiste
Après son premier jugement du tribunal civil de la Seine du 7 juin 1960, la cour d’appel de Paris, répond par la négative le 30 mai 1962 et reconnaît l’atteinte au droit moral de Buffet, sans pour autant lui remettre les panneaux litigieux.
échaudé par l’impossibilité de spéculer sur cet œuvre dont il n’était pas autorisé à s’en débarrasser pièce par pièce, Monsieur Fersing, ce pourvoit en cassation, au motif que le découpage du réfrigérateur n’aurait porté atteinte qu’à un appareil ménager et non à une œuvre d’art.
Pour le grand avocat général, Raymond Lindon, l’affaire Buffet est importante car les dénaturations des œuvres sont fréquentes dans l’histoire de l’art et mériteraient d’être sanctionné.
Ainsi il convoque une toile de jeunesse de Lacroix qui a été dépecé de telle sorte que le musicien (Frédéric Chopin) au Louvre et la romancière (Georges Sand) à Copenhague sont séparés sans doute pour l’éternité et rappelle que la salle de bain de la demeure du magistrat François-Parfait Robert à Mantes décorée de six panneaux peint par Jean-Baptiste Corot a été légué au Louvre en 1926. Afin de respecter l’intégrité de cet ensemble.
Il est suivi dans sa démonstration par un arrêt du 6 juillet 1965, la cour de cassation affirme solennellement « que le droit moral qui appartient à l’auteur d’une œuvre, artistique, donne à celui-ci, la faculté de veiller après sa divulgation public à ce que son œuvre ne soit pas dénaturer ou mutilée lorsque, comme en l’espèce, (…) l’œuvre d’art litigieuse acquise en tant que telle constituait une unité dans les sujets choisis et dans la manière dont ils avaient été traités » et que par le découpage des panneaux du réfrigérateur, l’acquéreur avait mutilée .
Sans le savoir buffet à accoler pour l’éternité son nom à l’une des plus illustres, jurisprudence en matière d’art, en reconnaissant l’idée que l’œuvre d’art est une expression de la personnalité de l’artiste, toute déformation démembrement ou dénaturation de l’œuvre malmène une expression de sa personnalité et porte atteinte à son identité artistique à sa personnalité et à son honneur.
Véritable composant du droit moral, le droit à l’intégrité de l’œuvre dit aussi droit au respect de l’œuvre, est sans nul doute celui qui est aujourd’hui le plus invoqué devant le juge.
Ainsi ont pu être sanctionnés pour atteindre droit au respect de l’œuvre, la modification des couleurs d’une toile de douanier Rousseau, c’est d’ailleurs au nom de cette prérogative que Daniel Buren s’est mobilisé a l’été 2018 contre l’accrochage à proximité de ses colonnes les deux plateaux du palais Royal à Paris, I œuvre éphémère du street artiste, Mehdi Cibille ( alias le module de zeer )et qui a été rapidement retiré par le ministère de la culture au nom d’une question d’exemplarité. (Le Module de Zeer avait recouvert de toile imprimée sept colonnes d’une galerie longeant la cour d’honneur du Palais-Royal, où sont installées les fameuses colonnes de Buren,
L’oeuvre du Module de Zeer, avec ses impressions de modules composant des rayures horizontales, avait été conçue comme un « dialogue » avec les colonnes aux rayures verticales blanches et noires de Daniel Buren. Le ministère a reconnu n’avoir pas fait la demande préalable requise auprès de l’artiste. Le commissaire de l’exposition A l’échelle de la ville, Jean Faucheur, a regretté une situation « très blessante » pour cet artiste.
c’est grâce à Bernard buffet que les artistes peuvent faire respecter l’esprit de leur création des propriétaires ou des tiers peu scrupuleux,
Jean Cocteau, dont buffet a illustré et gravé sa pièce de théâtre. La voix humaine, n’avait pas tort d’écrire qu’une nature morte de buffet n’est morte que d’un œil est prête à mordre !
Pierre Noual avocat à la cour
Article journal des arts n652
En effet, il a été jugé que « travestir ou déguiser une œuvre d’art à l’occasion d’un événement sportif, en la revêtant d’un maillot d’un équipementier sportif sans accord de l’artiste, portait atteinte à ses droits d’auteur » (CA Paris 19 juin 2015 n°14/13108).
L’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel l’auteur jouit du droit au respect de son œuvre, s’applique aussi aux œuvres architecturales lorsqu’elles sont originales.
La mise en œuvre de ce droit demeure, toutefois, délicate, en ce qu’une œuvre architecturale est aussi une œuvre utilitaire. Ainsi, il a déjà été jugé que : «La vocation utilitaire d’une œuvre architecturale interdit à l’architecte de prétendre à l’intangibilité absolue de son œuvre et justifie que soient apportées à celle-ci des modifications » . Les juges considèrent parfois que le droit moral des architectes est limité par le droit de propriété du maître d’ouvrage.