Partisan d’une nouvelle approche de la scénographie consistant à « mettre le décor au service du drame », Jacques Rouché s’attache le concours de peintres qui, par leur sensibilité, sont susceptibles de traduire l’esprit du spectacle dont ils doivent réaliser décors et costumes. Une trentaine est ainsi mise à contribution parmi laquelle Maxime Dethomas, Jacques Drésa, René Piot, André Dunoyer de Segonzac, Georges d’Espagnat, Charles Guérin, André Hellé.
En 1910, il a l’opportunité de réaliser enfin un vieux rêve en louant pour trois ans le Théâtre des Arts (actuel Théâtre Hébertot).
Jacques Rouché publie L’art théâtral moderne en 1910 et prend en la direction de l’Opéra de paris en 1914. Son directorat est le plus fécond de l’histoire de l’Opéra : 170 œuvres nouvelles, dont plus de 120 créations, en trente-et-un ans. Il confie la conception des décors et des costumes d’un spectacle à un même artiste, afin de garantir une unité plastique, et choisit chaque fois une personnalité différente, pour éviter tout monopole. Rouché engage non seulement un grand nombre de peintres, mais expérimente également l’emploi du cinéma et des projections. Il règle aussi plusieurs mises en scène. Par sa formation, Très attentif aux innovations techniques pouvant améliorer la présentation de ses spectacles. Il met ainsi en place un cyclorama, adopte la scène tournante, les praticables et les décors projetés.
Dès la première réunion des réformateurs, on s’accorda sur ce que les formes de l’art théâtral contemporain étaient depuis longtemps démodées, que le spectateur exigeait une nouvelle technique, qu’il fallait « évoluer » en abandonnant, malgré ses succès, l’art réaliste.
L’art de la scène est l’art le plus varié qu’il soit : il ne saurait obéir à une règle unique . La mise en scène à pour but de mettre en lumière le corps d’une pièce d’en dégager les lignes principales, de l’habiller si l’on peut dire.
L’art du couturier, considère le cadre ou sera exhibé la robe qu’on lui commande, et ne combine pas une toilette de ville d’après les mêmes lois qu’une robe du soir ou qu’un trotteur (Jeune employée d’une couturière, chargée de faire les courses)

Il est évident que la décoration d’une tragédie et celle d’une comédie ne doivent point communiquer à l’œil et à l’esprit la même impression; une fantaisie de Shakespeare ne se peut point monter dans les mêmes décors que ceux d’une fantaisie de Musset.
Le décorateur doit tenir compte du caractère spécial de la pièce. Il faut ensuite qu’il tienne compte du théâtre où il la monte ; la scène du Théâtre- de la comédie Française n’est point celle du Vaudeville; la même pièce y apparaitra sous des aspects différents.
Mais, ce qui est plus important encore, et ce que le décorateur ne doit jamais perdre de vue, c’est l’époque même où il vit, l’ensemble des sensations, des idées, des impressions, des notions communes à ses contemporains, et qui constituent la vision d’art particulière à chaque génération.
En vain prétendrait-on, pour la reconstitution du passé, et même pour la représentation du présent, obtenir, à grand effort de recherches érudites, une précision regrettable et laborieuse ; la vérité ainsi atteinte aujourd’hui, paraîtrait demain fausse et surannée.
Chaque âge se fait des diverses époques du passé une conception plus ou moins arbitraire, et qui change avec lui ; il utilise pour cela les connaissances que la science lui livre, en les vulgarisant. Ainsi, pour certaines pièces, les précisions historiques paraissent superflues.
N’est-il point temps de chercher dans quelle mesure il serait possible de rajeunir, chez nous, la mise en scène, de la faire correspondre à la vision d’art exprimée par les peintres d’aujourd’hui, et de la rendre harmonieuse à un mouvement général des idées et de la sensibilité dont il est presque paradoxal que, seul, l’art scénique ait pu s’abstraire jusqu’ici ?
Depuis une dizaine d’années, tout un ensemble de recherches du plus grand intérêt se poursuivait à l’étranger, sur un certain nombre de théâtres et dans des milieux différents. On les ignorait presque, car il fallait, pour s’initier, ou bien aborder des ouvrages disséminés qui ne sont point encore traduits dans notre langue, ou bien aller jusqu’à Florence, Munich, Berlin, voire jusqu’à saint Petersbourg et Moscou, et s’y documenter laborieusement sur place.

Peu à peu, cependant, quelques idées nouvelles ont pénétré et l’attention du public lui-même a été, par les représentations des ballets russes à l’Opéra, violemment attirés vers des ensembles, inédits chez nous, de coloration. Puis, dans diverses revues, des études parurent sur les théâtres étrangers, entre autres sur le Künstler-Theater de Munich, qui a réalisé la simplification du décor et l’abandon pour la « scène en relief » de la « scène stéréoscope ». Et l’on a commencé ainsi à avoir, en France, une idée des réformes théâtrales essayées avec succès à l’étranger.
M. Georg Fuchs (1868-1949 dans son livre The Theatre Revolution: Conclusions on the Munich Artists’ Theatre, publié en 1909.) a eu raison de dire familièrement qu’il en est du décor comme ces ménagères : les meilleurs sont ceux dont on parle le moins. Ou, si l’on préfère, le décor est le bon serviteur du drame; il ne doit parler qu’en cas de nécessité.

Les plus grands effets seront obtenus avec les plus petits moyens.
« L’art dramatique est essentiellement danse, c’est-à-dire le mouvement rythmique du corps humain dans l’espace » Comme le raconte l’architecte Max Littmann, responsable de la construction du Théâtre des Artistes, dans son ouvrage sur le processus de construction du théâtre : l’objectif théâtral deviendrait désormais le fondement de la scénographie, et non plus la peinture,
On n’oubliera jamais, en effet, que la scène est, comme l’a dit Taine, /« un relief qui bouge ».
On considérera ainsi l’art dramatique comme un aspect de l’art plastique. S’inspirant des anciens, et en particulier des Grecs dont la scène présentait une fusion harmonieuse de la forme, des sons et de la danse, on s’efforcera toujours de réaliser un ensemble de formes rythmiques où se combineront les trois rythmes essentiels de la parole, du geste et du mouvement.
On tiendra un compte rigoureux des diverses échelles soit du décor, soit du théâtre, soit des personnages. Les scènes actuelles ont des proportions invariables, qui faussent souvent l’illusion. Néanmoins, il est plus essentiel encore que la décoration soit construite à l’échelle des personnages. Ceux-ci se meuvent sur la scène ; ils avancent ou ils reculent; et, chaque fois, la proportion varie entre l’acteur, terme mobile, et la toile de fond ou les portants, termes immobiles. Comment supporter de grossières invraisemblances, et que, par exemple, des figurants traversant en procession le fond du théâtre, projettent les ombres de leurs têtes au-dessus des balcons figurés sur la toile ?… Cela est un petit côté de la question : la solution en est facile : supprimer le trompe-l’œil.
Personnage et décor dépendent d’un terme supérieur : le drame auquel le décor doit servir de cadre. D’où, ce corollaire évident : le décor sera conçu à l’échelle de la pièce, ou, pour parler mieux et plus précisément, de l’action particulière qu’il souligne et qu’il illustre. Sur une scène de proportions moyennes il restera toujours impossible de représenter une place publique, ou un palais, dans la complexité de ses détails ; mais l’un de ses détails, intelligemment choisi et présenté avec habileté, suffira pour donner aux spectateurs l’illusion qu’ils se trouvent dans une pièce d’un palais.
L’artiste décorateur doit prendre pour collaboratrice l’imagination du public, sollicitée avec adresse, elle ne lui refusera point ce qu’elle accorde si libéralement aux peintres et aux sculpteurs.
Arnold Bôcklin, comme tous les peintres trouvaient que c’était un non-sens de vouloir obtenir une impression juste, sous un éclairage faux, et des perspectives fausses. Un théâtre moderne doit correspondre à notre culture moderne. Shakespeare travaillait pour une scène donnée, pour un public donné dont il connaissait les besoins.
Le drame fait partie du théâtre et ne se conçoit pas détaché de ce milieu : acteurs, scène, salle, public, tout cela se tient. « La société nouvelle » aura son théatre.
Notre génération se réveille d’une longue léthargie ; le brusque élan de la civilisation du machinisme a détruit les anciennes civilisations solidement établies. (…) Les anciens moules se sont brisés sans qu’il s’en soit formé de nouveaux . On s’en est tenu, selon la coutume des arrivistes, à l’imitation des formes du passé dans lesquelles les meilleures générations des vieilles civilisations ont fini leur vie. Mais à côté de cette civilisation fausse, de ce clinquant, est en train de se cristalliser une société nouvelle, composée d’hommes de la jeune génération trop vigoureux pour se laisser emporter et écraser par les rouages niveleurs du siècle des machines. Tous ceux qui sont entrés dans ce mouvement forment la nouvelle société qui se sent en contradiction radicale avec le « grand public » et sa pseudo-civilisation de parvenus. Elle compte les esprits les plus réfléchis dispersés aux coins du monde ; c’est l’avenir de l’Europe. C’est l’opinion générale en Europe, nous l’avons vu ! D’autres pièces demandent d’autres moyens.
Craig répudie à son tour le naturalisme: « Pas de réalisme : mais du style ».

Adolphe Appia
L’éclairage devient comme la palette du décorateur. Ainsi e’est par le rôle nouveau de la peinture et de l’éclairage qu’on transformera la conventionnelle mise en scène, qu’on réalisera toutes les conceptions dramatiques avec un matériel artistique.

Mariano Fortuny
Inventa une coupole, il n’a cessé de la perfectionner chaque jour, jusqu’à la forme définitive qu’il a donné à Milan.
Pour remplacer la voute naturelle du ciel, on établit une voute artificielle sur la scène qui suivant la machinerie de théâtre est fixe, mobile ou peut se rabattre sur elle même. Cette voute d’un blanc mat est éclairé, réfléchissant de la lumière diffuse.
Alors qu’au début des années 1920, les théâtres lyriques connaissent une baisse de fréquentation, la ferveur du cinéma est d’abord vécue comme une crainte. Dans ce contexte concurrentiel, le directeur de l’Opéra envisage une première rencontre cinéma-opéra pour contrer le refus d’une augmentation de la subvention et la baisse d’affluence en annonçant une série de projections de films.


La Tour de feu (1928), où, en quête de réalisme, Rouché provoque une collaboration entre le décorateur Maxime Dethomas et la cinéaste Germaine Dulac
https://journals.openedition.org/doublejeu/2920
Projeté sur la partie inférieure de la toile peinte, le film d’une durée de quarante minutes représente : « Un ouragan […] en Bretagne, sur une côte abrupte et désolée » Les images sont projetées par transparence de sorte que les vagues se fondent dans la surface peinte. Par ailleurs, une projection lumineuse mouvante emplit le ciel de nuages


et enfin La Damnation de Faust (1933) où les décors lumineux d’Ernest Klausz accompagnent de façon inédite la montée dramatique de l’œuvre. Pour cette nouvelle présentation scénique, de Faust Rouché envisage en premier lieu un projet pictural et sollicite Étienne Ret, pour la réalisation des décors Le peintre propose des maquettes de décors destinés à être traditionnellement plantés sur scène Pour les scènes d’illusions fantastiques, Rouché souhaite recourir aux ressources du cinéma et se tourne vers le décorateur Eugène Frey qui expérimente le décor lumineux à l’Opéra de Monte-Carlo. Malgré une collaboration fructueuse entre le peintre et le décorateur ce projet ne satisfait pas le directeur qui se met en quête d’un nouveau collaborateur capable de porter à la scène la partie fantasmagorique de l’œuvre.
Ce que l’on nomme communément « le décor », doit devenir une image scénique en mouvement, c’est-à-dire : non plus un cadre pour situer l’action, un décor rigide, bâti dans l’espace, incapable de marcher « ensemble », dans le temps, avec les autres arts, mais une partie puissante, mouvante émouvante de l’œuvre d’art total

Lassé des grèves et du chaos qui secouent l’Opéra de Paris, le président Giscard d’Estaing commande un autre rapport à l’inspecteur des finances François Bloch-Lainé, lequel suggère de fermer le palais Garnier, ou de l’offrir au ballet, et de construire ailleurs une salle de trois mille places à des prix plus accessibles où serait établie une institution toute neuve, repartie de zéro. Le 27 juillet 1982, le président Mitterrand confirme au ministre de la Culture son « accord pour la réalisation sur le site de l’ancienne gare de la Bastille d’un Opéra moderne et populaire ». Le ministre ouvre un concours : le bâtiment devra en premier lieu « rendre l’art lyrique accessible au plus large public ». Le chantier tarde au point que la réforme des statuts, raison même de la construction, attend 1988. Période électorale, pression syndicale : l’Elysée annule la réforme. Gardons les statuts, le nouveau sera l’ancien.
Gerard Mortier – publie : l’opéra réinventé en 2006
La scénographie « Qu’on le veuille ou non, l’opéra est bien autre chose qu’un concert en costumes. Il est donc essentiel de recréer le lieu théâtral. Un lieu dont est bannie toute anecdote.
Le décor n’est pas un exercice solitaire. Il vit et respire grâce aux éclairages. L’usage pertinent de la lumière sera sans doute l’un des apports du théâtre contemporain. Les éclairages jouent un rôle fondamental dans le « Nouveau Bayreuth» de Wieland Wagner où la lumière devient le révélateur de ses décors épurés, tout droits issus des recherches d’Appia et de Gordon Craig’. Chéreau sera lui aussi un grand maître de la lumière : les décors que conçoit pour lui Richard Peduzzi semblent à la fois appeler et construire la lumière.
Le bon usage des éclairages ne consiste pas à les disperser inutilement entre une série d’objets. Chez les Herrmann, ils sont superbes, portés par le fluo mais ils restent brefs dans la durée. Ils savent parfaitement pourquoi ils veulent renforcer un éclairage à un moment précis et se concentrent sur ce moment-là
Qu’il s’agisse du décor ou des éclairages, leur rôle est identique : révéler un ailleurs et « faire comprendre au spectateur qu’il est entré dans le monde du théâtre et que c’est autre chose que le monde factuel de tous les jours ». Autre problème délicat : la relation des plasticiens avec la scénographie.
De tout temps, les directeurs d’opéra ont voulu attirer les grands plasticiens. Certains metteurs en scène privilégient même ce rapport, comme Grüber qui travaille toujours avec Eduardo Arroyo ou Gilles Aillaud’. La perception d’un décor de théâtre est toutefois quelque chose de très particulier. C’est une œuvre plastique qui vit de la lumière des éclairages : elle n’est donc pas autosuffisante.
Il en va des arts plastiques comme du cinéma. Si on se contente d’engager un nom, on va droit à la catastrophe. Les vrais peintres ne prennent pas toujours en compte les contraintes des éclairages. En fait, les plasticiens qui obtiennent les meilleurs résultats sont souvent les sculpteurs et les architectes.
Créateurs de volumes et de lieux, ils ont sans doute davantage le sens d’une structure. C’est en tout cas ce qui fait la force de Peduzzi : Chéreau dit parfois que, quand il a terminé son décor, il ne peut plus faire ce qu’il veut. Qu’on le veuille ou non, un décor de Peduzzi impose d’emblée ses propres evidences. Dans le domaine plastique, la nouveauté la plus récente est assurément la vidéo, Il faut bien l’avouer : à ce jour, les réussites sont rares et les mauvaises copies ou les alibis d’impuissance abondent. Le problème du Tristan de Bill Viola et Sellars ne réside pas dans sa répétition au fil des reprises, encore que celle-ci, techniquement, n’aille pas de soi, mais dans le défilé de copies bâclées que vont maintenant faire déferler les metteurs en scène en mal d’imagination. »