l’imaginaire n’a pas d’espace

entretien avec Jean-Guy Lecat, architecte, scénographe, collaborateur et complice artistique, entre autres de Jean-Marie Serreau, Jean-Louis Barrault et, pendant 24 ans, de Peter Brook, est en même temps celle d’un réformateur, transformateur et créateur génial de lieux et d’espaces théâtraux dans le monde entier. Peter Brook, « promoteur » de l’espace vide, avait dit : « l’imaginaire n’a pas d’espace». Le défi de Jean-Guy Lecat est d’en créer, qui, avec quelques indices ou éléments, génèrent l’imaginaire du spectateur.

Je n’aime pas beaucoup cette idée de décor. Décorer, c’est une vision artificielle, une sorte d’illustration de ce qui est dit, comme on le voit trop souvent aujourd’hui avec des projections le plus souvent inutiles. Créer un espace c’est aussi le limiter, l’adapter, l’orienter en fonction du spectacle et de l’acoustique. Il y a une chose très importante que l’on voit dans la vie et dont on doit tenir compte au théâtre : l’œil et le cerveau ne voient pas les choses nécessairement comme elles sont. Au théâtre, s’il y a un obstacle, comme le cadre de scène, tout ce qui se passe derrière paraît loin. L’œil observant décide que c’est loin même si cela n’est pas vrai. J’ai fait beaucoup d’expériences avec mes étudiants dans des workshops, où l’on explore l’espace. En plaçant un étudiant dans un angle ou dans différentes positions dans l’espace, on voit qu’à la même distance, quelqu’un peut paraître plus près ou plus loin, plus grand ou plus petit. Par exemple si on met un acteur dans un angle, il paraît plus petit à cause de la perspective alors qu’il est tout près. Mon travail consiste aussi à jouer avec ces choses-là et faire en sorte que les acteurs paraissent grands, beau et proches du public.

j’ai transformé environ 200 lieux ou espaces urbains pour Peter Brook, il n’y a pas de critères généraux, à part des paramètres propres aux conditions de la représentation théâtrale, comme entre autres le silence et l’acoustique.

Quand j’ai transformé en lieu de représentation le Marché aux Fleurs (Mercat de les flors) à Barcelone, il a fallu couper la circulation dans les rues autour pour avoir le silence. En Australie, au festival d’Adélaïde, pour les mêmes raisons, on a modifié les procédures d’atterrissage des avions et à Düsseldorf on a écarté les trains du lieu de représentation. Mes principes, quand je visite un espace, sont : primo, l’organisation de la relation public/artistes, secundo, la réformation ou l’adaptation du lieu. En transformant l’ancien Matadero (l’Abattoir de Madrid) en salles de théâtre, j’ai essayé d’utiliser le lieu pour ce qu’il est, pour ce qu’il propose. Comme dans la conception de nouveaux lieux ou la récupération des existants, dans la scénographie, il faut avoir cette intelligence d’utiliser et d’adapter les espaces, plutôt que de penser qu’il faille automatiquement construire un décor. C’est cela aussi l’intérêt de jouer dans un lieu qui ne soit pas un théâtre. Le Théâtre des Bouffes du Nord à Paris en est un des exemples. On n’a pas besoin d’y construire un décor, ce théâtre lui-même est un décor. De cette façon le public est dans le décor et participe.

Peter Brook a vidé l’espace recourant au minimum d’éléments qui font fonctionner l’imaginaire du spectateur par leur potentiel poétique et évocateur. Dans Ubu roi par exemple, il n’y avait que trois briques et un feu avec trois acteurs blottis derrière pour donner l’idée d’un village. Et lorsque qu’Ubu monté sur un grand touret arrive on voit immédiatement la sauvagerie d’un tank et qui écrase tout et on pense aux chars chinois à Pékin ou russes à Prague. L’image est forte et paraît simple, mais derrière il y a un grand travail de collaboration entre la lumière, les costumes, le décor et les acteurs. C’est un travail de compagnie où tout se crée conjointement dans le processus de travail. Aujourd’hui ce type de travail est quasiment impossible. Le metteur en scène engage des acteurs, travaille de son cotée et le décor se fait indépendamment du travail des acteurs. Avec Peter Brook on faisait tout ensemble. Le premier jour des répétitions rien n’existait, tout s’inventait petit à petit dans le processus de création. Mais cela n’est possible que quand on a du temps et une compagnie et qu’on veut faire des choses fortes et simples. J’ai été engagé par Peter Brook pour six mois, je suis resté 24 ans, parce qu’on a découvert qu’on avait beaucoup de choses à partager. Pour ma part, j’avais l’expérience de 10 ans de travail avec un architecte Claude Perset, mais aussi avec Jean-Marie Serreau, Jean-Louis Barrault, La MaMa de New York et d’autres, à créer des espaces de théâtre. Brook avait cette vision du travail théâtral qui se fait dans une complicité créatrice, de façon artisanale, dans une recherche de simplicité et d’efficacité. En s’installant dans le théâtre des Bouffes du Nord, que tout le monde voulait restaurer, Brook a décidé de l’utiliser tel qu’il était avec ses traces de vie, ses traces du passé. Si bien qu’on ne pouvait pas ensuite jouer nos spectacles dans des lieux conventionnels. Par exemple, il était impossible de jouer notre Ubu roi sur une scène à l’italienne. Et comme nos spectacles tournaient énormément dans le monde, il fallait toujours chercher des espaces adéquates. Je me souviens de nos grandes tournées, aux États-Unis avec Les Iks de Colin Turnburn en 1976, avec Carmen 800 fois, Ubu roi et d’autres partout dans le monde.

Ces spectacles, très particuliers, comme Le Mahabharata, ne pouvaient pas se donner sur des scènes traditionnelles, de sorte qu’on a trouvé des espaces dont beaucoup sont devenus depuis des lieux permanents de spectacle, comme par exemple le Réservoir de gaz à Copenhague, les dépôts de trams a Glasgow ou Frankfurt ou la carrière Boulbon en Avignon où nous avons créé le Mahabharata. Ce qui est important avec P. Brooks, c’est la dimension universelle de son travail. Si bien que les lieux que nous avons transformés, pouvaient être aussi utilisés ensuite par d’autres. Par exemple le theatre Harvey/Majestic à Brooklyn, que nous avons transformé, est toujours utilisé pour les des spectacles de théâtre, d’opéra et de danse. 

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