Hommage à Guy-Claude François (1940- 2014) Construire pour le temps d’un regard

Hommage à Guy-claude François disparu il y a 10 ans déjà en février 2014, et membre fondateur de l’UDS Collaborateur indéfectible d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, il avait également travaillé au cinéma et pour la cérémonie d’ouverture des JO d’Albertville.Si la scénographie était reconnue comme une discipline majeure, c’était en bonne partie grâce à Guy-Claude François .

« Je souligne fréquemment ce qui distingue les scénographes des architectes : les architectes bâtissent pour accueillir la vie alors que les scénographes bâtissent sur la vie »

Né à Berck le 9 novembre 1940, Guy-Claude François est mort à Paris le 4 février 2014. Son parcours est exemplaire de l’art du scénographe, dans le fil des révolutions scéniques qui ont substitué ce terme à celui de décoration dans les années 1960, sous l’effet des grands réformateurs que furent ses aînés, les tchèques Josef Svoboda et Frantisek Tröster, et en France René Allio, André Acquart et Michel Raffaëlli. Avec notamment Richard Peduzzi, Yannis Kokkos et Michel Launay, il incarne l’émergence de cet art, de cette fonction et de cette pratique à la reconnaissance de laquelle il a beaucoup œuvré de façon transversale et plurale tant dans la pratique artistique que dans le domaine pédagogique, professionnel et intellectuel.

« On sait aussi qu’un décor de théâtre est nourri d’un texte, d’une réflexion autour de ce texte, de recherches de toutes sortes, et ensuite d’un espace disponible, de techniques plus ou moins élaborées et du travail des constructeurs. Le texte est l’indispensable source inspiratrice.« 

Son grand-père Henri François est l’ingénieur du Rocher du Zoo de Vincennes (1934), de la dalle du Palais de Chaillot (1937), des passerelles à altimétries variables du port de Cherbourg, de la voûte du CNIT à la Défense (1958). Après son baccalauréat, Guy-Claude François passe une année à l’Ecole du Louvre puis il se forme de 1959 à 1961 à l’Ecole de la rue Blanche à Paris[1] en suivant deux sections, décoration et régie. Il a, comme professeurs, Jacques Gaulme pour la conception de décors et Lucien Pascal (directeur technique de la Comédie-Française) pour la régie.

Tout en pratiquant la peinture de décor et la maquette, à l’Atelier Bertin (1961-1963) et à l’Opéra de Paris, il travaille comme régisseur (Compagnie Yves Gasc, Théâtre La Bruyère et Folies Bergères en 1962), puis comme directeur technique et directeur de scène au Théâtre Récamier de 1965 à 1967, où le Théâtre du Soleil crée en janvier 1966 Le Capitaine Fracasse. Il réalise ses premiers décors en 1967 pour Jean-Pierre Miquel et pour Pierre Peyrou (Compagnie Peyrou-Thomas). Au printemps 1968, à l’occasion du Songe d’une nuit d’été, Ariane Mnouchkine l’engage pour l’aménagement du cirque Médrano. Il devient directeur technique du Théâtre du Soleil et gardera cette fonction jusqu’en 1978.

« je pourrais dire sous forme de boutade qu’un scénographe est un décorateur qui pense.« 

A partir de 1975 avec L’Âge d’or, il sera sans discontinuer le scénographe de la compagnie, collaborant étroitement avec Ariane Mnouchkine et concevant les scénographies de toutes les créations à la Cartoucherie de Vincennes et en tournée jusqu’en 2003 avec Le Dernier Caravansérail (16 pièces pour 11 spectacles). On se souvient notamment de l’espace vallonné de L’Âge d’or, des soies du cycle Shakespeare (Richard III, La Nuit des Rois, Henry IV, 1981-1984) qui faisaient s’écouler le temps dans l’espace, et de la restructuration des nefs du Soleil pour L’Indiade, en 1987, conjuguant scénographie et architecture. Il restera très proche d’Ariane Mnouchkine qui le consultait toujours pour la naissance des spectacles qui ont suivi après 2003. Sa conception de la scénographie fond dans une même démarche l’organisation d’un lieu de représentation et l’organisation esthétique de l’espace scénique propre à chaque spectacle, en lien étroit avec une dramaturgie, la mise en scène et surtout avec l’énergie des comédiens, prenant en compte la proximité du spectateur. Dans sa pratique, ces aspects du travail scénographique ne font qu’un.

« Le travail du scénographe tend à donner à un espace sa raison d’être, sans pour autant être fonctionnel. »

Il continue également à travailler régulièrement pour d’autres metteurs en scène, comme le tchèque Otomar Krejča, de 1980 à 1992 (16 réalisations, voir illustration ci-dessus, La Vie est un songe, 1986 en Suède), les belges Armand Delcampe (7 réalisations) et Dominique Serron (3 réalisations), les français Alain Sachs (13 réalisations), Mireille Larroche (4 réalisations), Philippe Caubère (2 réalisations) et Jean-Claude Penchenat (2 réalisations), l’allemand Rudolf Sauser (3 réalisations), la roumaine Irina Niculescu (2 réalisations) au théâtre, à l’opéra, et pour le théâtre de marionnettes en France, en Belgique, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Norvège, en Suède, en Finlande.

Dès le début des années 1970, il s’intéresse à l’architecture des lieux scéniques, en raison de sa pratique au Théâtre du Soleil. Outre le modelage constant des nefs de la Cartoucherie, renouvelé à chaque spectacle de 1971 à 1985, il a été confronté à l’aménagement des lieux pour les tournées sur tous les continents. Sur la base de cette expérience « hors des théâtres », il est appelé vers d’autres lieux et d’autres interventions. Après avoir été associé avec Rocco Compagnone en 1980-1982, il travaille dès 1982 avec Jean-Hugues Manoury et fonde avec lui en 1988 la société Scène avec laquelle il a conçu et réalisé près de 200 salles de spectacle en France et dans le monde, de toute nature (théâtres, opéras, salles de congrès, auditorium, salles multifonctionnelles, centres culturels, conservatoires, médiathèque), ainsi que d’aménagements de musées et d’expositions (Centre de la Résistance à Lyon, MuseoParc d’Alésia, exposition Yann Arthus-Bertrand, Grand Palais, 2009) ou d’événements (Théâtre des cérémonies pour l’ouverture des Jeux olympiques d’Albertville en 1992, spectacle conçu par Philippe Découflé). Il collabore avec un grand nombre d’architectes comme Bernard Tschumi, Renzo Piano, Antoine Stinco, Tadao Ando, Alain Sarfati, Pierre Riboulet, Vittorio Gregotti, Carrilho da Graça, Xavier Fabre, Reichen et Robert, Andraud et Parrat, François Lombard, Michel Wilmotte.

« Dans mon activité de scénographe pour les spectacles, j’aime bien les espaces « théâtralisables », le théâtre-abri, car ce sont des lieux qui n’offrent pas un théâtre pré-formaté, même si j’ai travaillé dans de nombreux théâtres et si j’en ai beaucoup dessiné, puisque mon activité avec Jean-Hugues Manoury est également de faire de la scénographie d’architecture – que l’on appelle scénographie d’équipement – avec notre agence, Scène. Il s’agit d’accompagner l’architecte dans l’élaboration d’une salle de spectacle. Pour cela, il vaut mieux connaître sur le bout des doigts le processus qui conduit à la représentation d’un spectacle de théâtre, d’opéra, etc. La procédure est exactement la même que celle qui préside à l’élaboration d’une exposition. Le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre entretiennent les mêmes rapports que dans la discipline précédente.

J’ai eu l’immense honneur d’intervenir deux fois sur la scénographie générale de la Cour d’honneur du Palais des Papes en Avignon : en 1982 et en 2002. En 1982, à de multiples égards, j’avais le désir d’un théâtre élisabéthain, et cela est apparu alors de façon évidente comme ce qu’il fallait faire. Lors de la réfection en 2002, curieusement le programme architectural très détaillé préconisait non pas ce qu’il fallait faire, mais ce qu’il ne fallait pas faire. La salle me semble moins intéressante qu’avant 2002. Trop de détails tue l’esprit d’ensemble.« 

Après le film Molière réalisé par Ariane Mnouchkine en 1976-1977, il œuvre comme chef-décorateur au cinéma avec Roger Coggio, Bertrand Tavernier, Coline Serreau, James Ivory, Philippe Kaufman, Maria de Medeiros, Christophe Gans, Chris Nahon, Brigitte Roüan, Lisandro Alonso.

« Derrière les décors de Molière, de La passion Béatrice ou des deux films avec Tavernier et situés en 14-18, il y a une justesse du sens, plus que de l’esthétique. L’esthétisme est, de mon point de vue, artistiquement réactionnaire, c’est de l’art pour l’art et je déteste ça. On est toujours confronté à un dilemme qui est la séduction du beau ou la rigueur du juste. Je suis très attaché à la deuxième option, sachant que si je suis juste, de toute façon ça sera beau.« 

Il a enseigné sans interruption à partir de 1987 dans le cadre du Département de Scénographie à l’Ecole d’architecture de Clermont-Ferrand, transféré en 1999 à Nantes au sein de l’Ecole nationale supérieure d’architecture, où il devait dirigé en 2014-2015 à nouveau l’atelier Décor de film ; de 1990 à 2004, à l’Ecole d’architecture de Strasbourg ; de 1990 à 2007 au Centre d’Etudes Théâtrales de l’Université de Louvain la Neuve en Belgique. A partir de 1992 et jusqu’en 2006, à l’invitation de Richard Peduzzi, il a été enseignant responsable du Département Scénographie au sein de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs à Paris. Il a également dirigé des ateliers à l’Institut international des marionnettes à Charleville-Mézières et donné de nombreuses conférences à l’Université.

Il a contribué à de nombreuses publications, comme le Dictionnaire encyclopédique du théâtre dirigé par Michel Corvin (Editions Bordas, Paris, 1991), affirmant son intérêt pour la réflexion théorique et la conceptualisation. Par sa pratique, il incarne une conception étendue et ouverte de la scénographie, allant de la scénographie de spectacle à la scénographie d’exposition en passant par la scénographie d’équipement. La définition de la scénographie qu’il donne avec Luc Boucris dans le Dictionnaire encyclopédique du théâtre, en témoigne : « La scénographie peut se définir comme l’art de la mise en forme de l’espace de représentation. De la conception d’un décor pour une mise en scène donnée à celle d’un lieu de spectacle, en passant par l’aménagement de tout un espace pour un spectacle, l’intervention du scénographe peut prendre des formes et une importance extrêmement divers. A travers son origine historique, ce terme souligne la nécessité d’un travail d’invention conceptuel permettant de penser l’espace ». Cette conception reste ancrée dans l’expérience théâtrale, celle d’un théâtre ouvert sur le monde et sur la vie. Il est en 1996, l’un des fondateurs du syndicat professionnel de l’Union des Scénographes, dont il sera le président pendant plusieurs années.

Il a été distingué lors de la Quadriennale de Prague en 1975 (médaille d’argent avec le Théâtre du Soleil). En 1987, il était présent dans la section architecture avec Reichen et Robert. La restructuration qu’il a effectuée avec Scène de la cour d’Honneur du Palais des Papes a été présentée à Prague en 2003 avec la scénographie de Philippe Marioge pour Platonov de Tchékhov, mise en scène par Eric Lacascade.

Il a reçu un César pour le film Molière, le prix spécial du jury du festival de San Sebastien pour la direction artistique de Capitaine Conan, un Molière pour les décors du Passe-Muraille, de Marcel Aymé, un autre pour le décor de Tambours sur la digue, un troisième pour Le dernier Caravansérail et plusieurs autres nominations aux César et Molière.

Il a été nommé chevalier de l’Ordre National du Mérite au titre du Ministère de la Culture en 2004.

En 2009, à Nantes, une exposition « Construire pour le temps d’un Regard » à la chapelle de l’Oratoire (Musée des Beaux-Arts) a présenté un panorama de sa création théâtrale et cinématographique, accompagné d’un catalogue de l’œuvre établi par Danièle Pauly et Marcel Freydefont, publié aux Editions Fage. Luc Boucris a publié à cette occasion La Scénographie, Guy Claude François à l’œuvre aux Editions L’Entretemps. Guy-Claude François fait partie des 50 scénographes présentés dans l’anthologie Scénographes en France (1975-2012) Diversité et mutations, publiée par Actes Sud en 2013, et il a participé à la présentation de cet ouvrage au Festival d’Avignon en juillet dernier. La bibliographie le concernant est très nourrie.

Marcel Freydefont

:

Chaque fois que je te retrouvais, pour travailler, ou pour simplement parler de tout et de rien, surtout de tout, tu étais toi-même parce que tu étais nouveau. Tu savais plus, tu savais mieux, tu expliquais mieux, tu dessinais encore plus vite, il te suffisait de quelques traits, j’avais compris. Tu me convainquais presque toujours, en fin de compte, toujours. Tu étais patient. Tu m’écoutais. Tu attendais la fin de mes divagations. Tu comprenais. Tu approuvais. Tu triais. Et puis tu me proposais mieux. Mille fois mieux.

Comme c’était gai et amusant de travailler avec toi. Une récréation sérieuse et drôle.

Tu la rendais grandiose. Tout était permis, sur le papier. Des jungles, des temples, des dunes, des barrages, des camions dans le désert, des fleuves.

Et pour transporter tout ça en tournée, nous avions même pensé, très sérieusement, à un dirigeable. Oui, il y a 40 ans, nous pensions déjà, qu’un jour, le transport aérien devrait se faire en dirigeable. Pour économiser l’énergie. Et surtout parce que c’était beau. Et silencieux pour les riverains.

Ariane Mnouchkine, 11 février 2014


 .Médaille d’argent au Théâtre du Soleil pour son œuvre scénographique (Quadriennale de Prague – 1976)
. Nomination au « César » du meilleur décor pour le film « La Passion Béatrice » (1987).
. Nomination au « Fennecus Award » (USA) du meilleur décor pour le film « Henry and June » (1990)
. Nomination au « Molière » du meilleur décor pour le spectacle « Les Atrides » (1992).
. Nomination au « César » du meilleur décor pour le film « Capitaine Conan » (1997).
. Nomination au « César » du meilleur décor pour le film « Le Pacte des Loups » (2002).
. Nomination au « César » du meilleur décor pour le film « La Princesse de Montpensier » (2011)
. Nomination au « Molière » du meilleur décor pour le spectacle « Madame Sans Gêne » (2002).
. Nomination au « Molière » du meilleur décor pour le spectacle « La Belle Mémoire » (2004).
. Prix spécial du jury du Festival de San Sebastian pour les décors de « Capitaine Conan » (1996).
. « César » du meilleur décor de cinéma pour le film « Molière » (1978).
. « Molière » du meilleur décor de théâtre pour le spectacle « Le Passe Muraille » (1997).
. « Molière » du meilleur décor de théâtre pour le spectacle « Tambours sur la digue » (2000).
. « Molière » du meilleur décor de théâtre pour le spectacle « Le Dernier Caravansérail » (2005).
. Chevalier de l’Ordre National du Mérite au titre du Ministère de la Culture.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theatrales-2012-2-page-73.htm

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